SUR LE PEINTRE

 

DES ARCHITECTES DU SILENCE


A première vue on peut trouver cette solitude et ce silence oppressant. Mais, délaissant les habitudes de l’oeil, il faut peut-être laisser pénétrer en nous, au delà de son évidence qualité picturale, cette oeuvre exceptionnelle et ne pas nous contenter d’en être seulement spectateurs. Si nous nous laissons regarder, écouter et sonder par elle, nous nous apercevrons qu’elle exprime, comme Rimbaud que «la vraie vie est absente» et nous le fait découvrir, sans nous blesser, grâce à un silence de la qualité la plus rare. Je veux dire un silence partagé.


Henry Bauchau

L’ETRANGE UNIVERS DE GERARD PRIAULT


Les oeuvres de ce peintre semblent nous révéler le conflit qui, en son moi profond, oppose sa volonté existentielle aux angoisses que lui inspire un futur lourd de menaces.

Dès lors, serait-ce afin de conjurer le sort auquel serait promise l’humanité qu’il lui assigne ces étranges cités-refuges ?

Autre hypothèse : aux lendemains d’une apocalypse, la nature seule, s’ouvrait-elle à quelques survivants de l’espèce humaine ainsi qu’un jardin d’Eden promis aux hommes de bonne volonté ? Au spectateur de décrypter le message enclos dans ces jungles où se multiplie une nature en instance d’occupant.

Des oeuvres dont la beauté comble l’oeil, cependant que l’intention éveille la réflexion du spectateur.


J. Dubois

DOCTOR LIVINGSTONE I PRESUME


Un coup d'oeil sur les tableaux de Gérard Priault et nous voilà sur les traces du Docteur Livingstone, le célèbre Pasteur aventurier du XIXeme siècle. Ou plutôt, un coup d'oeil sur les tableaux de Gérard Priault et l'aventure commence. Enfant, il voulait être peintre ou aventurier. Avec son art, il est parvenu à  concilier les deux. Des paysages de jungle, des forêts tropicales, des villes désertées; l'artiste nous entraîne dans un univers onirique où la nature est reine. Eventuellement une présence humaine est suggérée par des totems, des pierres sculptées qui expriment un intéràªt pour l'art «  primitif  » de civilisations ou d'époques éloignées. Ces temples et statuettes qui invitent au mystà¨re sont autant de sentinelles de la forêt, de témoins de rites payens.


Dans ces tableaux à la végétation dense, l'artiste semble être à  la recherche d'une pureté perdue. L'exotisme de ses forêts tropicales le rapproche des naïfs et il pourrait faire sienne la phrase du Douanier Rousseau : «  Je ne sais pas s'il en est pour vous comme pour moi, mais quand je suis dans ces serres et vois les étranges plantes de pays exotiques alors je pense que j'entre dans un rêve. Je me sens un autre homme.» Et c'est bien de cela dont il s'agit. Les paysages de Gérard Priault appartiennent à  un monde intemporel où le rêve et la réalité sont inextricablement mèlés. Ces tableaux sont des portes ouvertes pour l'imaginaire du peintre comme du spectateur.


Gérard Priault a beaucoup voyagé. Laos, Cambodge, Vietnam, Birmanie, continents africain et sud-américain. Il est donc allé à  la rencontre des paysages «  originaux  ». En cela, il est très loin de la démarche tortueuse de l'artiste Francis Bacon qui, dans sa série des papes emprisonnés, s'inspira du portrait du Pape Innocent X de Velasquez, tableau dont il ne voulut jamais voir l'original. Il n'en demeure pas moins que s'il a vu les originaux, Gérard Priault ne copie jamais la nature mais il s'en inspire. Ces peintures ne sont pas des documentaires. L'artiste imagine un point de vue autour duquel il construit ses tableaux afin que le spectateur s'y promène. A cet égard, il façonne la nature et s'écarte de la réallité. A hauteur d'homme, la jungle offre un univers vert bouteille à  l'horizon bloqué. On est bien loin des agencements savamment pensés, des lignes de fuites ou des vues imprenables de ces peintures.


Ces oeuvres tirent leur force de l'apparente simplicité et du foisonnement poétique qui en emanent. Il n'en demeure pas moins qu'elles sont le fruit d'une grande précision et d'un travail méticuleux qui s'opère par petites touches successives. Il y a un monde dans chaque arbre, chaque branche. Gérard Priault voit quelque chose de magique dans le temps qu'il met à peindre une feuille comme ceci, à placer telle autre comme ceci, à placer telle autre comme cela. Dans une société de l'instant, prendre du temps devient une démarche philosophique, voire quasi-monastique pour l'artiste. Aux yeux du peintre, la problématique de l'art est une affaire de coeur et d'instinct.


Nicolas Chwat

TEMPUS NON FUGIT: RECENT PAINTINGS BY GERARD PRIAULT


The theme of Priault's work strictly is neither that which apparently is represented, nor the manner of its representation, but arises from the painter's use of each of these categories as a vehicle to create an autonomous time.


One irony is that whatever Priault chooses apparently to represent either resists assignment of a temporal situation by its nature (e.g., his jungles), or contrives to defy temporal situation despite the subject’s intrinsically «  historic  » content.


Upon viewing a Priault jungle, for exemple, it is obvious that the painter avoids any time marker that might situate the scene in an identifiable past, present, or future. But this fact is no less true of his cities and “ruinsâ€ン which pose a further, proleptic temporal plane, i.e., the prospect oflooking t the past frorn a vantage in the future.

By placing in flux the time of an image, implicitly Priault renders equally fluid the viewer's temporal situation with respect to the image, since, clearly, if what the viewer sees is in the past, then he is in the future with respect to it; but if the image depicts the future, then he is in the pastwith respect to it (A proleptic vision of the

image poses further variations).


This sense of temporal orientation or oscillation is no less characteristic of any effort to ponder which time of day a Priault painting evokes. jungles, which often have contrasting luminous elements in the sky, defy any reckoning of the source or direction of the light, which may or may not be reflected. There is light in the sky, to be sure, but whether it occurs in dawn, dusk, or in temporary semi-darkness of an

afternoon cloudburst, one cannot say.


Similarly, the apparent daylight of a «  ruin  » (which could as easily belong to a remote future as to the past) generates a tension which belies its lack of contrast, since the subtle flatness and consistency of the illumination is no less temporally ambiguous than the high contrast light of the jungle skies. And the apparent «  night  » of some cityscapes, upon closer scrutiny, is just as unidentifiable.


What can be the premise underlying one layer of temporal disorientation upon another? Clearly, one radical disparity between reality and its representation in a single image is that in reality, time, by definition, is dynamic; but an image is temporally static. By investing his images with a temporal dynamic, Priault addresses the problem of realism in a more fundamental way.


M.T. HAN

CONVERSATION SUR LE GESTE DE PEINDRE


Léonard Appel: Quelle est votre méthode de travail? En peignant, avez-vous une idée de départ, un but défini ou est-ce que le sujet évolue au gré de ce que vous découvrez sur la toile? Avez-vous un projet précis ou allez-vous de surprise en surprise en suivant le mouvement de votre main?


Gérard Priault : Il y a une idée de départ, qui vient de loin, je reste et j'attends, parfois elle se précise, parfois elle reste vague,  « impossible jardin où le hasard se crée ». Presque toujours, elle évolue avec le temps, avec la progression du tableau, avec d'autres images que l'exercice suscite en moi. L'image non définie tente d'aller quelque part, puis change soudainement de sens et soulève des interrogations, qui me font dire: « Je n'avais pas vu cela.» Et je vais explorer un autre point de vue. On pourrait dire que « la chose » ressemble à un voyage dans lequel on se lance sans avoir fixé d'itinéraire précis et détaillé. Au cours du voyage, on change de direction, parfois de sens et d'aspirations dont on se serait bien gardé de douter initialement. Courtes minutes, entourées de brouillard.


L.A. : Connaissez-vous cette phrase de Karel Appel qui a fait scandale tout au début de sa carrière: « Ik rotzooi maar wat aan »? En français civilisé, cela se traduit par: « je fais un peu n'importe quoi.» Chez vous, on est d'abord frappé par la méticulosité, le calcul des espaces dont vous avez besoin pour rendre visible vos images intérieures, l'artisanat du geste. Quelle est l'importance des gestes dans votre peinture?


G.P. : Au paradis des sensations, s'il en est, la peinture dicte le geste et non le contraire. Mes tableaux exigent une précision méticuleuse du geste. Mais parfois, celui-ci se doit d'être large, généreux, flou, tandis que d'autres détails imposent des gestes exacts, brefs, parfois même saccadés, de l'harmonie et du tumulte. Si je voulais faire une comparaison, on pourrait évoquer une partition musicale avec ses mouvements larges - adagio - et ses mouvements plus précis, courts, qu'on pourrait jouer staccato. Je suis alors le compositeur - le précipice est ma musique - l'exécutant, le chef d'orchestre. Les couleurs et nuances deviennent les notes.


L.A.: Quand savez-vous que l'oeuvre est finie?


G.P.: Il est très difficile de répondre à cette question. Il me semble que la fin m'est dictée. L'inconscience d'un moment donné me fait poser les pinceaux, d'où d'ineffaçables insouciances. Les mois qui suivent me font revisiter le tableau et y apporter des retouches, ajouts, modifications qui peuvent aussi bien concerner les formes que les couleurs. Encore une fois, je dirais que c'est un besoin inconscient qui me pousse à ces remaniements, le commencement des choses pour les uns, lignes de force et de partage pour les autres.


L.A.: Vos images de jungle et de forêt, de chutes d'eau, des hauts plateaux... sont éloignées de la société urbanisée dans laquelle nous vivons. Pourtant, elles nous interpellent, car loin d'être des cartes postales, elles frémissent d'une certaine irréalité, d'un monde de rêves. Est-ce la vision d'une terre révolue qui nous touche, ou est-ce la tentative de maîtriser la sauvagerie en nous qui se joue dans vos tableaux? Chaque tableau devenant l'enjeu d'un conflit entre la poussée vitale d'une nature luxuriante et la mise en ordre de ce monde?


G.P.: Chaque tableau en lui-même est une image d'un rêve, peut-être la représentation d'un « délire », une distraction ornementale et une certaine nature idéalisée.


L.A.: Comment définissez-vous un certain ordre présent dans vos tableaux?


G.P.: Lors d'une de mes expositions, Henry Bauchau avait accepté d'écrire une introduction qu'il avait intitulée: « Les architectures du silence ». Qui dit architecture dit ordre, précision, exigences géométriques. Je pense que l'ordre du monde s'impose par lui-même. Je ne suis que l'interprète de cet ordre que le tableau doit accepter. Pour en revenir à la musique, elle peut aussi être silence et par essence a ses propres exigences d'ordre, mélodies furtives et visions longues sans oublier le discours de la lumière.


L.A.: Il n'y a pas d'êtres humains dans vos peintures, ni animaux. Il y a des traces de civilisation, des temples, des pavillons. Pourquoi?


G.P.: j'appellerai cela plutôt : absence de l'homme, présence de signes tangibles. Pour moi, le tableau est vu pour lui-même et toute représentation humaine ou animale susciterait auprès de celui qui regarde une identification, au moins une tentative de celle-ci. Ceci n'est pas mon intention. Comme le dit Castaneda, il appartient donc au spectateur de trouver sa place.


L.A. : Sommes-nous aux origines où règne encore « la cérémonie de l'ordre du monde » ou sommes-nous au-delà de l'apocalypse, retournés à la nature où il n'y a que « fragrances et bruissements », où règne une pureté sauvage et où résonne le silence du ciel?


G.P. .: Je ne me situe, ni à l'origine du règne du monde, ni au-delà de l'apocalypse, aphasique je le suis dans le monde d'aujourd'hui,  mes tableaux sont rêves issus de gestes. Chaque tableau est un voyage initiatique, peuplé de nouveaux aperçus. C'est pour moi l'étape d'un parcours où, à un moment donné, je croise le chemin du spectateur, sans mensonge. Et si pour le spectateur « résonne le silence du ciel », alors je ne puis que dire que « peut-être » j'ai atteint mon but.